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La Bible colporte des nouvelles bien plus essentielles que celles du journal, puisqu'il s'agit des nouvelles de celui qui la lit : l'âme du lecteur, sortant d'elle-même par le mouvement de la méditation, marche à travers les champs de blé de l'invisible et découvre dans les faits divers célestes sa gloire à venir.
Emily se moque de l'usage punitif que font de la Bible les gens d'Église. À son neveu Ned, alors âgé de vingt et un ans, malade, devenu sournois et féroce avec Austin, elle envoie une Bible, comme on fait en ce temps avec les malades pour hâter leur guérison. Sur la page de garde elle écrit un poème où il est dit que le péché est un « précipice distingué », que si le chant d'Orphée captive, celui des prêtres « assomme » et que la Bible a été rédigée par des « hommes fades ». Un tel poème eût enchanté le révérend Wadsworth. Le style de ses sermons est vif, paradoxal, inquiétant de fantaisie. L'orateur aime susciter le sourire de ses auditeurs pour le briser aussi sec. Il sait aussi jouer de sa voix de basse pour évoquer un Dieu cloué comme une chouette sur la porte des siècles par les hommes violents et lâches.
L'amour des vainqueurs est un douteux amour. Comme Wadsworth méprisant l'impassibilité des dogmes, Emily aime un Dieu terrassé: « Quand Jésus nous parle de son père, nous nous méfions de lui, mais quand il nous confie qu'il connaît la grande tristesse, là nous l'écoutons parce que nous aussi nous avons cette connaissance-là. »